Aria Persei

A quest for Absolute
 

Le cheval, partenaire d’évolution: une approche sensorielle

Parqué dans un box alors qu’il est un animal de plaine et de nomadisme, désocialisé, le cheval manque souvent de bons soins de la part de l’homme. Loin des plantes des steppes et d’un foin cueilli et séché dans des greniers, il est souvent nourri de granulés industriels et de céréales. Qui sont ceux qui s’attachent à retrouver le fil de la chaîne des besoins physiologiques du cheval, leur retirent leurs fers et les sortent de leurs boxes? En Belgique, je suis allée à la rencontre de centres qui s’attachent à explorer la manière dont l’interaction avec le cheval a des effets thérapeutiques pour l’homme, aussi bien au niveau physique que mental: équilibre, motricité, coordination ou encore conscience corporelle et émotionnelle.

L’asbl Équité à Hoeilaart

Créée en 2003, l’asbl Equité est à l’orée de la forêt de Soignes. Ouvert à tous, c’est un espace de 6 hectares où l’on peut rencontrer les chevaux et se connecter à la nature. Les 2 fondatrices, Géraldine de Ribaucourt et Sophie Andersen, ont accompli un boulot d’une grande ampleur: “les chevaux ont beaucoup d’espace et vivent dehors, aux côtés des autres animaux du domaine (canards, poules, chiens). On leur sert à manger dans les prairies. C’est de l’antrophomorphisme que de penser que les chevaux ont froid dehors en hiver. Ils se débrouillent très bien tant qu’ils ont à manger et à boire dans un lieu sécurisé et qu’ils sont en troupeaux.” En fait, force est de constater que les chevaux sont plutôt gênés par les mouches en été que par la neige ou la pluie comme l’homme pourrait le penser. Si un animal se trouve fragilisé et malade, des boxes peuvent lui servir de refuge. Deux pistes permettent de travailler individuellement ou par petits groupes avec les chevaux pour améliorer la psychomotricité, la prise de responsabilités, la remobilisation corporelle et affective, la communication, la structure interne et la gestion des émotions.

Psychologues de formation, les fondatrices ont enrichi leurs bagages en repartant étudier la psychothérapie individuelle assistée avec les chevaux, le développement personnel en groupe et le team building. Le travail au centre s’oriente beaucoup avec des personnes souffrant de burn-out, des enfants (confiance en soi, troubles de l’attention, hyperactivité, problèmes comportementaux) ou en collaboration avec des institutions qui s’occupent d’enfants placés par la justice: “ce sont des enfants qui profitent énormément de la rencontre avec le cheval, c’est un ancrage important dans leur semaine. Être sur un cheval leur rappelle le mouvement du bercement maternel dont bien souvent ils ont cruellement manqué.” Pour eux, l’accroche affective est souvent plus liée au cheval qu’au thérapeute: “c’est une relation d’un tout autre ordre, on ne peut pas prendre son thérapeute dans les bras, on ne peut pas le caresser”.

Les chevaux sont des êtres très sensibles. Ce sont des animaux de proie dans la nature. Géraldine explique: “pour pouvoir survivre, les chevaux sont hypervigilants. Leurs sens sont surdéveloppés pour pouvoir voir venir la menace et repérer chaque signal dans leur environnement. Ils peuvent percevoir le moindre changement en nous, le moindre stress, comme l’augmentation de notre rythme cardiaque ou la modification de notre manière de respirer. En tant qu’encadrantes, on observe et on traduit ce qui est en train de se passer et on propose une façon d’explorer ce qui se joue.”

La rencontre avec le cheval se vit dans la corporéité: le corps bouge et interagit. Est-ce qu’on a mal quelque part? Y a-t-il de la tension à un endroit du corps? Comment le cheval peut-il nous aider à réécouter les signaux physiologiques de notre corps? Que se passe-t-il au niveau émotionnel? Autant de questions qui peuvent être explorées. Alors que dans la vie courante, le réflexe premier est de se déconnecter de soi-même lorsque de grosses émotions surviennent, de se dissocier de ce que l’on vit pour faire face aux conditions de vie quand elles sont adverses, le travail avec les chevaux peut aider à accueillir, accepter, identifier et comprendre la nature de ces émotions. Qui plus est, ces aspects sont facilités par l’aspect sensoriel du toucher: “on oublie l’importance du toucher comme quelque chose de réconfortant. C’est un réel soutien de pouvoir toucher les chevaux ou d’être portés par eux. Cela nous ramène à un niveau plus affectif et moins mental, c’est une invitation à une rencontre sensorielle.”

Équité propose des ateliers de 2h30 durant le printemps et l’été en petits groupes (réagir ou agir en confiance, poser ses limites, gérer son stress, gérer son énergie corporelle).

Le centre d’hippothérapie de Louvain-la-Neuve

En plus des activités liées aux chevaux, des formations en hippothérapie se tiennent ici en collaboration avec la faculté de psychologie de l’UCL: le premier certificat universitaire et reconnaissance publique en Belgique (le métier d’hippothérapeute n’étant pas régulé par la loi). Le directeur du centre, Patrick Guilmot, organise chaque été un stage résidentiel aux côtés de sa compagne Gwénola Herbette, enseignante en réduction du stress basée sur la pleine conscience. La rencontre avec le cheval au contact de la nature est un catalyseur pour plonger plus profondément dans la présence de l’instant: “j’ai eu une grande chance, c’est d’avoir accès dans mon enfance, dans un lieu de vacances, à des chevaux qui n’étaient pas là pour être montés. J’ai pu essayer différentes approches, passer du temps à les observer. C’est maintenant que je me rends compte que tous les éléments, de la démarche expérientielle à l’encadrement par les adultes qui veillaient sur mes expérimentations, étaient en germe par rapport à la manière dont je conçois le travail avec le cheval aujourd’hui au centre. J’ai toujours été en recherche d’une relation qui va dans les 2 sens, plutôt que d’une approche dirigiste à sens unique.”

Au centre, l’espace est aménagé pour que les chevaux puissent vivre en troupeau au sein duquel chacun a et connait sa place. Ces enjeux-là sont bien huilés, ce sont des rapports de priorité et les chevaux se les rappellent en permanence: “cela est très vite défini, c’est une question de personnalité, ça se joue en un instant sur une certaine façon de bouger, qui est plus tonique, plus affirmée. Les chevaux sont très fins à lire ce language corporel.“ Enfants, adolescents et adultes de tout type de situation de vie viennent à la rencontre du cheval (difficultés de vie, handicap physique ou mental): “avec des personnes très fortement handicapées, on observe souvent de claires améliorations, comme des infirmes moteurs cérébraux qui modifient leur posture. Le cheval est pour eux une grande motivation.”

Un élément déclencheur peut nous faire adopter un automatisme, basé sur une pensée à propos de nous-mêmes ou en réaction à l’environnement. C’est une mécanique très fine à observer. Que se passe-t-il lorsque je suis en présence avec le cheval? Comment réagit-il lorsque ma pensée n’est pas claire? Qui est ce cheval en face de moi? La thérapie avec le cheval est ludique et s’appuie sur une démarche expérientielle: “au fond, une rencontre, c’est un apprivoisement. Comment entre-t-on en relation avec un être vivant qui a sa sensibilité, comment va-t-on négocier avec lui sans l’usage de la parole? Est-ce qu’on va se comprendre? Comment va-t-on trouver un accord?” Sans préjugés, le cheval ne tient pas compte de l’âge, de l’allure ou du statut social. Il ne pose pas de jugements, il fait ce qu’il sent. Il ne tord pas la réalité pour faire plaisir ou pour plaire, il n’a pas d’agenda caché.

Trop souvent, le cheval est traité comme un objet de rendement. Or, les animaux ne sont pas des jouets à la disposition de l’homme: “certains enfants qui présentaient des troubles du comportement venaient régulièrement au centre. On sentait chez eux un désir de choisir un cheval, qu’ils considéraient alors comme le “leur” et de le brosser. Le cheval lui n’a pas de problème avec ça, il laisse les besoins s’exprimer. Une fois la séance terminée, les enfants s’en allaient et on avait l’impression qu’ils abandonnaient leurs jouets comme ils les avaient trouvés. Avec l’équipe, ça nous laissait un sentiment inconfortable, nous avons donc eu l’idée de placer un plus grand nombre de chevaux à la disposition des enfants. Intrigués, ces derniers ont commencé à s’inquiéter de leur sort, en projetant leurs propres sentiments sur les animaux: qui s’occupait des chevaux qui n’étaient pas choisis? Le cheval, lui, ne se sent pas délaissé, il va très bien. Cet exercice a permis aux enfants, avec le temps, de comprendre qu’ils pouvaient étendre leurs relations sans enfermer personne dans une boîte. Du cheval objet, on est passé au cheval partenaire, interlocuteur et être vivant. Les choses se sont faites avec moins d’avidité et plus de considération. Cela s’est passé sans que nous ne disions rien, nous avons seulement mis les choses en place pour que l’expérience puisse avoir lieu.”

Les Champs d’Ailes à Nivelles

Delphine Schulte exerce dans cet espace à la fois aéré et confidentiel un peu hors du temps. Invitant au ralentissement, la rencontre avec le cheval, dans mon cas Picasso, se base sur la sensorialité (sentir l’animal, le toucher, être porté par lui, prêter attention à la manière dont il entend) dans le respect des rythmes respectifs: observation, entrée progressive en relation en se retrouvant à genoux en dessous de ses naseaux, rencontre sensorielle mutuelle et mise en confiance: “le cheval est un baromètre de nos émotions. Il est un réel révélateur de nos côtés cachés et incongruents. Lorsque j’ai récupéré Picasso, il était dans un état pittoyable: il venait d’Espagne, avait été battu, avait attrapé la grippe dans le camion. Il avait l’air terne. C’est un cheval qui aime oeuvrer à remettre les gens en confiance. Malgré son côté gourmand, quand il travaille, il résiste à l’appel d’aller se sustenter des herbes avoisinantes.” C’est un grand moment sensoriel, intuitif et non conventionnel qui table sur un rapport de confiance avec le cheval: “dès que l’on voit qu’un inconfort, un apeurement ou une agitation émerge chez l’animal, la personne est invitée à reculer jusqu’a ce que le cheval retrouve un équilibre en présence de l’homme. Le cheval associe alors l’humain à une paix d’esprit et non à un élément anxiogène”.

Eden à Herentals

En 2021, j’ai travaillé avec Jason Wauters, le fondateur d’EDEN à Herentals (Belgique). J’ai fait une quête de 11 leçons avec Arion (nous avions d’abord discuté d’Aquila, le cheval de Jason) qui était axée sur la conscience du corps, la prise de l’espace, la conduite de l’espace et la garde de l’espace. L’aventure s’est terminée par une danse avec Arion en musique. Cela m’a aidé à prendre conscience de mes points faibles et de différents points d’entrée facilement identifiables, ainsi que de certains points forts. C’est là que j’ai rencontré Le Petit Rouge, un chat “vrai” (doué d’un esprit et non généré par l’hologramme), un être que j’aurais beaucoup aimé apprendre à découvrir plus en profondeur (c’est délicat de faire une demande au sujet du chat de quelqu’un d’autre). Un jour, je suis ouverte à l’idée d’accueillir un cheval dans ma vie, mais il faudrait qu’il soit doué d’un esprit et que je scanne d’abord plus profondément qui il est sous son costume de cheval.

https://eden.life